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Lyon effondrée

Premier essai fictionnel de description d’un futur probable et possible.

Il y a des jours plus difficiles que d’autres. Les jours où tout va bien commencent avec une douche tiède, quand le soleil a pu chauffer les tuyaux qu’Adrien a installé sur le toit de l’immeuble. Ces jours, une petite poignée d’entre nous a droit à de l’eau presque chaude pour se laver.

Beaucoup de gens ont tenté de quitter Lyon. La ville est par conséquent souvent très vide, il ne reste plus grand chose à y faire de toute façon. Le centre ville commerçant est déserté depuis longtemps. Les boutiques ont fermé leurs portes, la rue Victor Hugo n’est qu’une succession de grilles et de rideaux de fer baissés. Quelques enseignes sont encore ouvertes : les petites épiceries arrivent encore à obtenir des produits à vendre, mais plus rien de frais ne fait route jusqu’à la ville. Le commerce s’est focalisé sur la vente à l’unité ou en vrac, les conserves et le recyclage. Une économie de la débrouille. Un silence apaisant règne la plupart du temps, les voitures n’ont plus de quoi rouler de toute façon. Cela fait longtemps que le carburant a dépassé les 12€ le litre, cantonnant l’utilisation des véhicules aux plus privilégiés d’entre nous, qui n’osent que très rarement exposer leurs trajets à ciel ouvert. Ciel qui, mécaniquement, s’est débarrassé de la purée de pois légendaire qui recouvrait Lyon bien trop souvent. La population lyonnaise a fait ses grands dimanches de tout ce qui roule encore sans carburant : vélos, planches à roulettes, trottinettes électriques dont les batteries ont été arrachées ou désoudées. L’ingéniosité de certaines personnes m’étonnera toujours dans la confection de véhicules les plus créatifs les uns que les autres. Tant que ça peut rouler et transporter des objets, tout est bon à bricoler. Nous-mêmes nous sommes lancés dans la construction d’un tandem « latéral », deux vélos soudés l’un à côté de l’autre, laissant en son centre une belle plateforme propice à accueillir toutes sortes de choses qu’on aurait besoin de trimballer. Le premier essai que l’on a fait avec des planches de bois était assez concluant, il faut juste trouver le « truc » pour bien synchroniser le rythme de pédalage des deux utilisateurs, ce qui demande un brin d’entraînement.

Dans les bons jours, il m’arrive d’avoir une heure ou deux de connexion à Internet en continu. L’infrastructure de réseau mobile a commencé à flancher quand les carburants ont dépassé les 5€ du litre, au même titre que l’eau potable, l’électricité ou le chauffage urbain. La plupart des grandes tours d’habitations ont d’ailleurs été désertées rapidement après l’hiver 2028, celui où Rik et moi avons tenté de rejoindre sa famille en Angleterre, sans grand succès, freinés dans notre course à Lille et forcés à rentrer à cause des intempéries qui nous auraient empêchés de prendre la mer. Les anciennes villes côtières sont d’ailleurs sous l’eau maintenant, ce qui a drastiquement réduit les infrastructures de transport maritime, tant pour les personnes que les marchandises.

Quand j’arrive à connecter mon ordinateur, je consacre 15 minutes à propager les nouvelles à mes ami·es, autant que faire se peut. Il nous arrive aussi de communiquer par radio CB, c’est plus convivial et moins dépendant de la météo et des caprices des infrastructures. Avec les deux autres familles de l’immeuble, nous avons bidouillé un routeur-relais qui nous permet d’avoir un peu de wifi de temps en temps. Fabien, le voisin du 5e, a réussi à créer de quoi recharger nos appareils avec un vélo d’appartement qu’il a couplé à un générateur de courant alternatif. Je revois encore ces stations de rechargement en libre service qui traînaient dans les centres commerciaux début 2010 pour que les jeunes puissent alimenter leurs smartphones. Notre sytème n’est pas si éloigné, même si aujourd’hui, nous pédalons pour notre propre survie, pas pour alimenter nos excès de confort. Nous pédalons quand le repas du jour a pu être assez consistant. Il y a des moments où ça devient difficile de dépenser sa propre énergie. Alors on ne se déplace pas, on trouve quelque chose à réparer, à bricoler, à planifier, ou un livre à lire pour tenter de s’évader.

Il y a eu des émeutes, oui. Au plus fort des crises des supply chains, quand les livraisons de biens de consommation ont stoppé quasiment du jour au lendemain, les gens se battaient encore pour quelques tablettes de chocolat dans ce qu’il restait des supermarchés, au fil des poids-lourds qui arrivaient encore à terminer leur trajet. Puis, progressivement, quand plus aucune échoppe n’a pu être réachalandée, tout s’est calmé. La course à la boite de conserve a laissé place à une entraide prégnante. Lyon est souvent citée comme un exemple sur les stations radio qui perdurent encore, ses habitantes et habitants restants ayant spontanément converti le moindre coin vert en jardins urbains partagés et autogérés. Le Parc de la Tête d’Or est assez incroyable dans le genre, certaines personnes ayant même pris en charge les quelques animaux restants au sein du zoo. On y trouve dorénavant des centaines de petites exploitations, gérées par environ 300 personnes se relayant en permanence, vivant là bas dans les anciens bâtiments d’entretien et dans l’ancienne Cité Internationale. Le petit monde urbain va et vient dans cet espace préservé, pour aller négocier quelques légumes pour le repas du soir ou tenter d’en faire pousser d’autres.

L’apparition du virus Melt courant 2026 a marqué le véritable tournant de notre civilisation en Europe. Melt est issu de la fonte du permafrost et s’apparente à une pneumonie fulgurante. Des milliers de personnes, forcément les plus fragiles, ont succombé dans les 6 mois où le virus a atteint l’Europe centrale. Pas forcément à cause du virus lui-même, mais surtout à cause de l’effondrement du système de santé. Sans source d’énergie stable, sans la grande majorité de son personnel capable de se déplacer jusqu’à son lieu de travail, l’hôpital a eu vite fait de devenir incapable de soigner la population. Il a fallu se replonger dans les vieux livres de botanique, heureusement que le silo de la bibliothèque de la Part-Dieu a été assez solide et assez stable pour préserver les ouvrages les plus cruciaux. On trouve encore quelques plantes médicinales çà et là aux alentours proches de Lyon, elles permettent de soulager un peu les petits maux, mais pas les grands. Melt s’est calmé en quelques mois grâce à une politique stricte de couvre-feu qui a duré d’abord deux semaines, une politique entièrement auto-organisée et auto-diffusée. Il arrive qu’on en croise encore quelques cas isolés mais nous sommes maintenant rompus aux méthodes de bon sens et de prévention qui nous aident à ne pas déclencher de nouvelles épidémies trop fatales. Il semblerait que le bon sens l’ait enfin emporté sur pas mal de tableaux.

On ne peut pas dire que l’État a vraiment joué son rôle dans les crises successives. Un grand nombre de ses institutions ont chuté extrêmement rapidement. De toute façon, comme le système bancaire a lui aussi adopté une instabilité prévisible, difficile pour n’importe quel organisme de soutien d’apporter son aide à distance aux populations, si urbaines soient-elles encore. Macron réélu sur le fil en 2022 a fait état de tout son éventail d’incompétence encore davantage une fois les véritables crises subvenues. Submergé jusqu’au sommet du crâne par les catastrophes ingérables avec ses méthodes ridicules, il eut vite fait de rendre son tablier. Son allocution radio-télévisée annonçant la démission du gouvernement en novembre 2023 après la spectaculaire évacuation des banlieues nord de Paris, privées de chauffage et d’électricité, fut l’un des moments les plus honteux dans l’histoire de la politique contemporaine. Petit à petit, les humains ont tenté de reconstruire ce qu’il restait des structures intermédiaires qui jadis assuraient le bien-être des citoyennes et des citoyens. Syndicats, associations, casernes de pompiers, groupements de quartiers et de villes… Les maires et leurs administré·es ont mis la main à la pâte pour voir ce qu’il était possible de faire pour soutenir localement les populations les plus démunies. Quelle ironie de voir des personnes dans un dénuement proche de celui qu’on refusait de voir il y a encore quelques années, lors de la « crise migratoire » nommée ainsi par tous les groupes d’extrême droite, et les milliers de gens mourant durant leur traversée, les pauvres restants que la France, parmi bien d’autres pays, ne voulait pas prendre en charge.

To be continued