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Refonte à ciel ouvert s01e02

Knock knock… Anybody home? Quatre mois ont passé depuis le début de mon travail de refonte. On ne peut pas dire que j’ai fait preuve d’assiduité. Mais au final, c’est pour le mieux. Parfois, il faut que nos idées décantent avant de pouvoir en prendre tout le sens. Le travail de fond se poursuit…

Pendant ces quatre mois, j’ai clairement laissé mes idées en jachère. D’abord, j’en ai ressenti une petite pointe de culpabilité face à l’engagement que j’avais pris de revenir chaque mois vous parler de ma progression, puis devant les immenses changements qui s’opéraient en fond, j’ai laissé l’eau couler. Il faut savoir écouter ce qui tente d’émerger, et en premier lieu il faut laisser émerger.

Germination

Et de l’émergence, il y en a eu. Entre avril et août, je suis tombée dans une marmite sans fond la tête la première, en découvrant la collapsologie et le récit d’un potentiel effondrement. Cette nouvelle façon de voir le monde a eu sur moi l’effet d’un réveil brutal mais très attendu. J’ai ressenti quelque chose de profond et de viscéral au moment même où je comprenais ce qui allait bientôt nous arriver. Un véritable appel. J’en ai écrit un billet la semaine dernière qui relate ces émotions particulières.

Le choc s’est répercuté sur tous les aspects de mon existence. Ma vie personnelle, ma manière de consommer, manger, lire, interagir avec mes ami-es. Et forcément, l’impact fut tout aussi fort sur ma pratique professionnelle du design. J’ai très vite ressenti un appel à explorer ces émotions. Quoi de mieux pour ce faire que de proposer un sujet à une conférence ? Je n’avais littéralement aucune idée de ce que j’allais dire quand j’ai soumis le sujet « What if it all goes wrong? Design for an unknown future » à l’équipe de TakeOff. Rédiger une conférence sur un sujet précis force à faire, en un temps record, une recherche suffisamment détaillée, un exercice de reformulation et un travail de mise en forme et de storytelling. Vous pouvez lire le longread [en anglais] ou regarder la vidéo [30mn] ici.

Grâce à cet exercice et à l’absorption de ressources essentielles publiées et articulées par mes consœurs et confrères, j’ai pu cristalliser quatre grands principes de design (toutes les références sont en bas du billet longread, servez-vous !). En reprenant progressivement le chemin de cette refonte de mon portfolio et de mes services, je me demande si ces quatre principes ne sont pas simplement ceux que je tends à appliquer au quotidien. Peut-être devrais-je me les approprier pour décrire la portée de mon travail à mes futur-es client-es…

Éclosion

Très vite, j’ai échangé avec d’autres « collapsologues » et personnes convaincues par ce récit. Avec quelques confrères, nous avons rapidement eu envie d’identifier les leviers à solliciter au sein de la communauté des designers pour répondre aux enjeux de l’effondrement de notre civilisation. Common Future[s] est né et a regroupé une trentaine de personnes lors de la première journée organisée au SOFFFA Terreaux. Le tout s’est passé dans une spontanéité agréable, depuis la formalisation des premiers principes de fonctionnement de ce groupe de réflexion jusqu’à la journée de rencontre elle-même.

Je n’en suis pas ressortie indemne. C’est tout un univers qui s’est ouvert à moi. Des données, des écrits, des personnes et avec chacune un point de vue singulier et inédit sur le vaste spectre collapsologue. J’ai lu l’indispensable « Comment tout peut s’effondrer » de Pablo Servigne, renouvelé ma carte de bibliothèque et allongé ma liste de lecture de manière considérable. Le récit de l’effondrement m’a offert une toute nouvelle perspective sur mon métier et m’a donné de nouvelles motivations, de nouvelles raisons d’y trouver du sens. C’est merveilleux, mais cela me demande une énergie immense depuis lors, énergie que je mobilise pour comprendre, cristalliser et communiquer ces changements.

Collaborations

Il y a un petit groupe de personnes avec qui je suis en contact quasi permanent. Parmi eux, mon compère et code designer Goulven Champenois et mon amie d’enfance et directrice artistique Sara Thom. Goulven est l’auteur de l’interface que vous avez sous les yeux et qui évoluera bientôt (je l’espère). Au delà d’être le maître des clés techniques de ce site, il est un indispensable sparring partneret sympathisant collapsologue à ses heures perdues. Sara quant à elle m’accompagne depuis des années sur le chemin de l’indépendance. C’est elle qui a donné un énorme coup d’accélérateur il y a deux semaines, en m’aidant à cristalliser qui je suis en photo. Son talent et son œil graphique et artistique délicat ont donné quelques clichés superbes, qui font office d’excellente base visuelle pour la future interface.

Photographie de Marie-Cécile Godwin. Elle se tient à demi assise sur une table blanche et regarde droit dans l'objectif de l'appareil photo. Ses cheveux jaune vif sont remontés en chignon, elle a une frange jaune vif, porte un haut blanc et une jupe bleu canard.
Photographie : Sara Thom

Le portrait est un exercice difficile. Au delà de vous représenter auprès de votre clientèle, il fait passer une foule de messages non verbaux presque impossibles à exprimer en mots et donne le ton de beaucoup de choses que vous allez exprimer. Seul-e, il est compliqué d’obtenir un résultat satisfaisant, ou tout du moins un résultat non biaisé. Sara a su me guider tout au long des prises de vue et je suis ravie du résultat.

Itérations

J’avais donc laissé ma réflexion en jachère, mes planches A3 et mes post-its en sommeil sous le bureau. Et sans trop savoir pourquoi, c’est « revenu » ce matin. L’envie de continuer ma réflexion a refait surface. Ces quatre mois ont été tellement fructueux en réflexions et en découvertes que la première chose que j’ai fait, c’est de créer une nouvelle itération de la planche « Qui suis-je ». J’ai aussi tenté de formaliser des valeurs, des intentions et des principes. Quand j’essaie de résumer les choses essentielles à ma pratique, je retombe sur trois choses : la vérité, l’éthique et la notion d’héritage.

La vérité, c’est l’honnêteté, la transparence, l’ouverture nécessaire à toute relation. Sans honnêteté, sans s’autoriser à être soi dans sa vérité, il ne peut pas y avoir de confiance. Ni en soi, ni dans les autres. La vérité, c’est aussi s’autoriser à être vulnérable. Nous ne sommes pas des êtres parfaits, nos aspérités sont d’ailleurs une source de richesse, j’en suis intimement persuadée.

L’éthique, c’est la formulation de règles par lesquelles nous décidons de vivre. Elle est issue d’une réflexion et d’une formalisation. Mon éthique personnelle promeut l’équité (qui produit l’égalité), le respect, la justesse et la justice. Sans éthique, Twitter est devenu une plateforme de propulsion d’idées d’extrême droite. Sans éthique, le designer erre dans les méandres des demandes clients et des lois du marché.

La notion d’héritage permet de prendre en compte le présent et le futur d’une initiative, à travers son impact, sa vision longue terme, les externalités qu’elle produit et son espérance de vie. Le numérique est une plateforme foisonnante qui a permis à des choses merveilleuses de voir le jour. Mais sans notion d’héritage, nous créons plus d’externalités que de bénéfices et nourrissons les problèmes qui causeront notre perte de résilience dans le futur.

En développant ces trois valeurs, j’ai créé un rapide diagramme de Venn les reliant entre elles. Cette première itération est très loin d’être communicable sur mon site. Mais elle a le mérite de me servir de base à partir de maintenant. Je ne sais encore pas si ces trois valeurs et leur expansion sont suffisantes pour exprimer tout ce que j’ai envie de communiquer. Je compte les tester dans les semaines qui viennent pour voir si mes aspirations du moment y correspondent et si elles me procurent un bon système de prise de décisions.

Deux grandes feuilles blanches posées sur un sol en parquet. Sur la première feuille, un diagramme de venn agrémenté de trois post-its bleus : "vérité, héritage et éthique".

Sur la planche « Qui suis-je » version 1, j’ai surligné ce qui me correspondait toujours et l’ai transcrit sur une nouvelle version. Je suis toujours designer, facilitatrice (même si ces deux notions seront à confronter), mentor et oratrice. Ces quatre activités me motivent toujours, autant par leur pratique que par les résultats qu’elles produisent. L’Anthropocène leur a donné une nouvelle dimension, et j’ai fait le tri dans la version 1 en laissant derrière moi tout ce qui ne nourrissait pas mon besoin de travailler à un monde plus apte à affronter ce qui va lui arriver. 

La notion de rentabilité baigne encore tous nos échanges d’actions et de valeur. Difficile de ne pas être « rentable ». Je me suis beaucoup questionnée sur cette notion, sur celle de la prospérité, surtout durant nos bien méritées vacances d’été. Mon mari et moi avons passé deux semaines en montagne, dans un chalet de 25m2 au sol, certes suffisamment équipé pour vivre confortablement mais dénué du confort ultramoderne de la ville. La perception et l’utilisation du temps changent quand vous êtes dans un espace qui limite vos possibilités habituelles. Dans un décor naturel qui plus est, où l’on entend chanter les oiseaux et où l’on rencontre des formes de vies peu voire pas du tout communes dans un milieu urbain, dans un environnement qui vous laisse la possibilité de promenades en silence, nous avons pu prendre de la distance par rapport à notre mode de vie et nos aspirations personnelles et professionnelles. J’ai remis en question ma motivation profonde à faire mon métier, et avec elle la dure réalité qui n’est pas toujours ni éthique, ni vraie, ni créatrice d’un héritage bénéfique. L’éternel débat de devoir « gagner sa croûte », la peur de devoir manquer d’argent m’a souvent poussée à accepter des collaborations certes agréables mais loin de mes valeurs, peu enclines à nourrir mon objectif d’un monde meilleur.

Mes objectifs financiers sont fondamentalement différents d’il y a quelques années, lorsque j’étais salariée. Aujourd’hui, je considère le temps comme ma ressource la plus précieuse, celle que je ne peux pas recharger. Ce que je peux faire, c’est « acheter » du temps libre à travers le fruit financier de mon travail. Et décider quoi faire de ce temps. Suite à mon burnout, une partie de ce temps fut réservée à prendre soin de moi et de ma santé mentale à travers du repos, du sport et des activités sociales. Le reste de ce temps libre est aujourd’hui dédié à l’animation de communautés, à de la lecture en rapport avec les sujets qui me trottent dans la tête, à aider des consœurs et confrères ou investir du temps dans un projet qui pourrait constituer une opportunité professionnelle dans le futur… Mais j’aimerais en faire plus.

J’aimerais contribuer à des projets libres, j’aimerais soutenir des communautés qui tentent de créer des tiers-lieux ou des projets résilients. J’aimerais donner des cours gratuitement, donner de mon temps et mettre mes compétences à disposition de personnes qui n’ont pas les moyens de payer un·e designer. J’ai déjà apporté mon aide gracieusement ou à des tarifs bas à certain·es ami·es ou projets, mais je ressens le besoin d’aller plus loin et de donner une nouvelle dimension à cette aide. Voici comment je cristallise mon projet de rentabilité financière :

Financer mon soutien à des projets / écosystèmes / personnes en résonance avec mes valeurs et convictions par une activité qui a du sens, productrice de dignité, prospérité, résilience et circularité pour moi et l’écosystème dans lequel elle s’inscrit.

Pour ce faire, je dois trouver le bon équilibre entre temps rémunéré et temps libre (à donner), le bon tarif horaire et la juste valorisation des services que j’apporte à mes client-es. Cet équilibre viendra également de la vitalité que je retirerai de la pratique de mon métier. Ce dernier est multi-facettes. Même si j’ai une « simple » formation de designer graphique, je me rends bien compte au quotidien que le gros de mon activité, c’est d’appréhender la complexité. Celle d’une identité de marque, celle d’un programme pédagogique ou d’un écosystème local. Appréhender la complexité de notre monde, l’expliquer, la rendre abordable… Une activité que j’exerce sous cinq facettes principales :

  • designer (UX designer, designer d’interactions, d’expériences, d’interfaces… ce que vous voulez :P)
  • facilitatrice (cristallisation d’idées, facilitation de collaboration, design thinking…)
  • moteur d’écosystèmes et de projets (animation locale, fédération, définition de valeurs de groupes…)
  • mentor (enseignement, transmission, rédaction…)
  • oratrice (transmission, animation d’écosystèmes…)

Ma problématique actuelle autour de ces cinq facettes est de savoir : 1/ celles qui me plaisent le plus, 2/ celles qui correspondent à mes valeurs, 3/ celles qui m’offrent une profitabilité maximale pour atteindre le niveau de prospérité attendu et résoudre mon objectif de rentabilité financière. 

Si je devais les classer par ordre de préférence, la facilitation arrive en tête. Même si j’ai passé presque 15 ans à créer des logos et des interfaces, la production d’artefacts graphique s’est fait doubler par la sensation unique et grisante d’être dans un groupe et d’aider les personnes présentes à cheminer vers un but. À la fin de chaque atelier fondamental, je mets au moins 1 jour à redescendre (et à me reposer, car c’est épuisant de focaliser toute mon énergie sur un seul objectif !). Si je ne devais faire qu’un seul des quatre métiers, ce serait facilitatrice, accoucheuse d’idées. Comme le design est parfois du même ordre que la facilitation, dans sa dimension d’outil d’identification et de résolution de problématiques, je le mets en 1/2e position. Peut-être devrais-je faire l’effort de découper le design en plusieurs parties et me focaliser sur celles que je préfère également. En deuxième place, j’ai failli choisir « oratrice », car c’est une activité que j’adore pratiquer. C’est toujours intéressant de se plier à l’exercice de cerner un sujet dans un temps limité et de travailler une performance scénique. Mais depuis que j’ai identifié la partie « moteur d’écosystèmes », je l’ai fait remonter en 2e position. À l’avenir, j’aimerais non seulement participer à des initiatives locales (IxDA, Common Future(s), les Designers Lyonnais, etc) mais aussi me mettre à disposition d’autres écosystèmes moins organisés, encore plus locaux, pour leur offrir mes services de facilitation, structuration et définition. Finissent donc en 3e position les activités d’oration et de mentorat : la transmission d’une vision du design et du monde me passionnent toujours. Je suis intimement convaincue que l’éducation et l’incitation par l’inspiration et l’exemplarité sont des outils très puissants pour changer les mentalités et les actions individuelles et collectives. Seulement, ce sont deux occupations assez peu rémunératrices, voire pas du tout. Donner des conférences demande un investissement en temps conséquent pour souvent aucune rétribution pécuniaire. C’est de l’investissement sec dans la fabrication de contenu pour la promotion d’un événement dont on n’est pas à l’origine, même si à terme cet investissement nous garantit un minimum de visibilité. Le mentorat et l’enseignement sont compliqués aussi, peu d’établissements proposent une compensation suffisante à leurs intervenant·es et ne rémunèrent pas les heures de préparation des cours. Comme je ne fais jamais rien à moitié et que j’ai une petite allergie à la redite, c’est pour moi une opération peu satisfaisante niveau retour sur investissement.

Malgré cet inventaire précis de mes activités, je traverse une période de questionnements sur ce que j’ai envie de faire et sur ce qui me permettra de vivre une existence digne et résiliente. Le spectre d’un effondrement me pousse assez fort vers des aspirations plus matérielles, plus connectées à l’humain et au vivant, moins « hors-sol ». Ce ne sont pas des questionnements faciles, la notion d’accomplissement y est aussi importante que celle de rentabilité financière. Je laisse le fil rouge se dérouler dans ma tête pour le moment, nous verrons plus tard.

La suite ?

Voici l’état actuel de mes réflexions. J’avance doucement vers une formalisation plus concise et plus fine de ce que j’ai envie de dire et de transmettre à travers ma présence numérique. Rien n’est terminé. Il me reste encore à faire l’état des lieux de mes besoins techniques sur ce site. J’aimerais un espace d’écriture plus adapté au format longread comme celui-ci, un flux RSS (back to basics !), des outils pour faciliter la prise de rendez-vous à de futur·es mentoré·es par exemple. Je n’ai encore aucune idée de la hiérarchisation de contenu pour la page d’accueil. Même après ce travail de classification, j’ai encore envie de mettre les cinq facettes de mon métier au même niveau. Il va me falloir faire des choix, et c’est une autre paire de manches 🙂

Rendez-vous… Hé bien rendez-vous bientôt, je préfère ne pas prendre date cette fois. Advienne que pourra, les choses prennent du temps.