Ce premier épisode de la refonte à ciel ouvert de mon site et offre de services fut introduit par un article pilote et couvre la première phase d’exploration.
C’est en décembre 2015 que j’avais initié une première formalisation d’un travail de design de soi, partagé lors d’une soirée IxDA. En évoquant la définition d’un objectif, je trouvai alors une manière de simplifier les prises de décision et la façon de me présenter à mes pairs et prospects. La démarche a pris en maturité un an plus tard avec la conférence « Se réinventer et être soi à l’ère du numérique » donnée à BlendWebMix. Je touchai alors à une possible méthode applicable aisément à quasiment tous les contextes, aux personnes autant qu’aux entreprises.
Mais quand il s’agit de s’attaquer à soi, c’est une toute autre histoire… Ce billet relatera la première phase d’exploration et de recherche entamée en mars. Je vais tenter au mieux de partager mes turpitudes avec vous.
Complexe contexte.
L’exercice de design de soi n’est pas confortable. Pour décider sous quel jour nous voulons apparaître au monde, il faut d’abord se confronter à notre réalité pour en faire l’état des lieux. Cette réalité est plus ou moins agréable à contempler selon le moment où l’on démarre la démarche.
Ma réalité du moment n’est pas très confortable, je dois l’avouer. Je conclus quelques mois de plateau et contemple la prochaine marche à gravir, celle trop haute pour que je puisse en voir la surface. Depuis mon passage à l’indépendance il y a deux ans, mes services et mes clients ont changé en tout point, ma façon d’envisager la pratique du design et mes ambitions également. D’il y a quelques temps, durant mes années en agence, je n’ai gardé que très peu de ce qui constituait la majorité de mon activité quotidienne. Je ne produis que très occasionnellement du design graphique et me concentre sur la transmission (conférences et enseignement), la réflexion (avec mon Atelier Fondamental) et l’étude de l’expérience des personnes, (histoire de trouver un nom plus digne à l’UX). Ces trois orientations sont plus ou moins conscientes. C’est au fil des propositions (parler à BlendWebMix sur le sujet du design de l’identité ou donner des cours à Digital Campus) que cette segmentation d’offre s’est construite. Ma tâche dorénavant est de m’assurer qu’elle correspond à mes aspirations profondes, l’ajuster et la consolider, et la communiquer de la manière la plus claire possible pour faire en sorte qu’elle se perpétue, si c’est bien cela mon souhait.
Post-partum
Entamer la refonte de la quasi-intégralité de mon offre de services m’a très rapidement plongée dans une anxiété palpable que j’ai eu du mal à comprendre et interpréter au début. Elle est faite d’un mélange d’incertitude et d’inconfort, incertitude de ne pas savoir si cette nouvelle formule aboutira et fonctionnera, inconfort de devoir me confronter à mes propres difficultés et à cette guérison post-burnout qui n’en finit plus.
L’incertitude. La conférence Interaction 18 est terminée, laissant derrière elle un vide palpable. Plus d’un an et demi de ma vie et plusieurs milliers d’heures de travail ont été nécessaires pour donner vie à cet événement, le plus gros jamais organisé pour chaque membre de notre petite équipe. Organiser une conférence, qui plus est une édition d’Interaction, c’est une montée en puissance couronnée d’une apogée incroyable de cinq jours absolument sans précédent. Surtout quand, comme moi, on est chargée de la production et que tout, absolument tout élément qu’on avait méticuleusement prévu en amont pendant de longs mois doit soudain se passer comme sur des roulettes. Après l’euphorie post-conférence, j’avais prévu deux semaines sans rien, sans projet ni contrat, anticipant mon besoin de repos absolu. Ce que je n’avais pas assez pris au sérieux, c’est le retour de bâton quelques semaines plus tard. Pendant Interaction, surtout pendant les derniers mois de sprint, j’ai mis de côté le gros de mon activité.
Je me retrouve donc sans projet immédiat (certes de ma propre volonté), sans deadline, avec devant moi le vide impressionnant du prochain saut à effectuer, sans savoir vraiment lequel. Je n’ai plus de collègues, plus de structure, plus d’e-mails par centaines ni de prestataires ni sponsors qui m’appellent toutes les 20mn — anecdote : nous étions parvenus à un point où mon compagnon, pourtant très compréhensif, se plaignait qu’on ne pouvait même pas déjeuner une demi heure sans interruption. Et là, plus rien. Le silence complet.
L’inconfort. Certes, j’avais prévu de m’atteler à cette refonte et d’en faire un moment privilégié de retour à soi et d’introspection. Ce que j’avais mal évalué, c’est l’addition malencontreuse du post-partum Interaction 18, de cette anxiété de n’avoir ni contrat prévu (à juste titre) ni structure qui m’inviterait à retrouver un rythme, et de la difficulté de faire face à la réalité, au chemin parcouru qu’il faut subitement transcrire avec des mots et des couleurs. J’avais oublié de jauger l’inconfort de devoir passer plusieurs jours, plusieurs semaines à observer sous toutes leurs coutures les éléments de mon activité professionnelle, de ma présence au monde, des choses que j’ai fait et qui ne fonctionnent plus, de mes faiblesses et des projets que je n’ai jamais terminé. De devoir mettre un prix sur un service, de tenter d’exprimer des ressentis internes, presque intimes, des convictions, des valeurs. Je dois faire l’inventaire, trier, traduire, formaliser, décortiquer, nommer, mettre en forme… Tout est à faire, et c’est éreintant.
J’attaque aujourd’hui la 3e semaine de recherche quasi-quotidienne. Quasi, car sur mes journées, j’ai du mal à rester concentrée sur ce projet plus de 2 ou 3 heures tout au plus. Mon cerveau procrastine à une intensité impressionnante, témoignant de toute la difficulté que j’ai à m’attaquer sérieusement au problème. La procrastination n’est qu’un réflexe de protection du cerveau, qui voyant la difficulté des tâches venir, propose à son hôte de faire plutôt des choses rassurantes. En 2 semaines, j’ai couvert quelques planches A3 et collé quelques post-its, mais pas assez pour déclencher un sentiment de satisfaction et la sensation d’avoir effectué une bonne journée de travail.
Ce qui existe déjà
La phase d’observation m’a donné pas mal de sueurs froides, c’est même elle qui est à l’origine d’une bonne partie de mon anxiété. Sur mon site actuel, terminé durant l’été 2016 juste après mon passage en indépendante, plus rien ne me correspond ou presque. Je suis également retournée voir ce que j’avais formalisé il y a 3 ans, la relecture de cet objectif m’a procuré un sentiment mitigé , fait d’autant de tristesse que de joie, tristesse de voir comme tout se périme vite, joie de voir que j’ai énormément avancé depuis.
Rien que d’après cet existant, je peux déjà trier et laisser derrière moi ce qui ne me correspond plus. Je ne veux plus, par exemple, rendre le monde plus beau : je veux le rendre plus inclusif et plus juste, le faire à l’image de ce qu’il est vraiment, un monde riche et divers. Je ne veux plus seulement travailler sur des projets qui ont du sens, je veux me focaliser sur comment ils s’inscrivent dans une continuité, comment ils abordent le privilège, comment ils résolvent un véritable problème et pas juste une « inquiétude d’une personne riche de la Silicon Valley ». Au delà de cette volonté existe un réel besoin, celui pour moi d’enfin promouvoir le design comme la véritable approche systémique qu’il est, et exploiter cet aspect de mon métier pour le bien et l’émancipation des humain·es.
Savoir ce que l’on ne veut plus, c’est déjà un petit départ.
Sérendipité
Il y a des choses pour lesquelles je n’applique pas de méthode et laisse libre cours à ce qui vient, en grande adepte de la sérendipité. Non pas par croyance qu’une entité supérieure, qu’un grand Karma nous apportera ce dont nous avons besoin, mais plutôt parce que je crois que l’esprit humain est infiniment complexe et est capable de percevoir des choses et de les mettre en relation dans l’inconscient, pour les laisser sortir au moment opportun. Apprendre à écouter quand arrive ce moment est essentiel, il faut être capable de voir ce qui émerge.
Après le face à face inconfortable avec l’existant, j’ai donc continué par laisser libre cours à ce qui me venait à l’esprit (en ayant pris soin de perdre quelques heures à lire des billets inspirants sur Medium et à re-re-regarder quelques talks de Simon Sinek. Sé-ren-di-pi-té, j’ai dit).
Je sais à peu près où je souhaite aller et vers quel résultat j’aimerais tendre :
- la refonte de ce site implique que j’aie peaufiné un discours et une stratégie,
- lesquelles reflèteront ma raison d’être et mes valeurs,
- j’aurais évalué ce nouveau « package » pour le traduire en éléments visuels, mise en mots et en forme.
La méthode n’a rien de révolutionnaire : je vais diverger puis élaguer à mesure pour converger vers l’essentiel. Sur de grandes feuilles de papier, j’ai collé des notes de ce qui me passait par la tête. J’ai commencé par préparer 5 planches : « moi », « mes services et client·es », « mon portfolio », « mes projets » et mon fameux « service d’ateliers de recherche en valeurs ». J’y ai collé des choses en vrac faites de mots-clés, de références à des conférences ou des orateurs·trices, des phrases, etc. Ces planches représentent la vision panoramique de chaque élément, que j’ai entrepris de décrire plus précisément séparément.
Il y a des choses aussi diverses que « consacrer un jour par mois à ma présence au monde et au développement de mon business » et le témoin d’un questionnement autour d’un prix fixe pour mes ateliers. Je vais les enrichir au fur et à mesure, il y a quelques idées que je n’ai pas encore notées, comme celle de proposer des formations en design d’expérience des personnes (UX) à destination des entreprises.
La planche principale (en noir pour faire ressortir les jolies couleurs vives <3) est donc consacrée à mon identité propre. Je n’y couperai pas : la base de la base se définit en allant chercher et sélectionner ses valeurs et aspirations les plus profondes en nous. Je me laisse la possibilité de modifier, ajuster ou supprimer des parties grâce aux notes repositionnables. Des choses ressortent déjà, des façons d’exprimer des valeurs ou des intuitions qui émergent.
J’ai gardé sur une note rouge une expression popularisée par Alan Cooper lors d’Interaction 18 : « Be a good ancestor », être un·e bon·ne ancêtre. À travers cette volonté, c’est tout un éventail d’actions, d’objectifs et de façons de faire qui va se déployer et régir ma pratique, notamment peut-être la conclusion que je dois consacrer plus de temps au mentorat.
Je me suis rendu compte que le partage et la co-création avec d’autres cerveaux m’était de plus en plus agréable, voire indispensable. J’ai noté ceci dans un coin également, peut-être que ma solitude d’indépendante, que j’apprécie énormément, a besoin d’être compensée avec plus de moments d’échange. Ce ping-pong cérébral, je l’avais en agence avec mes chers collègues (coucou Goulven, Lisa, Sébastien et Thomas !) et il me manque de plus en plus souvent.
Moins agréable, j’ai également listé mes forces et mes faiblesses. Quoi de plus important que de se connaître profondément quand on se lance dans une activité indépendante. J’essaie de rester lucide, honnête et bienveillante envers qui je suis aujourd’hui, envers mes défauts également. En ce moment, ce qui pêche clairement c’est la concentration et la capacité à atteindre le flow. J’ai déjà fait des efforts dans ce sens en modifiant la manière dont les notifications arrivent sur mon téléphone et limitent l’interruption de mon fil de pensée (ainsi que l’organisation de mon écran d’accueil avec seulement 8 applications visibles). Exit les notifications sonores et les pastilles rouges, l’information me parviendra quand je l’aurai choisi. J’ai changé la manière de commencer ma journée, j’ai déplacé ma séance de yoga quotidienne juste après le lever, que je fais suivre d’au moins 10mn de méditation. Il y a 2 packs Headspacepréchargés que je fais selon l’humeur : « Productivity » et « Prioritization ». Je devrais très certainement poursuivre la réflexion en décortiquant la manière dont j’organise mes journées. Sur une idée de ma consœur et amie Sara, j’utilise en parallèle le livre « Your Best Year » de Lisa Jacobs, qui m’invite à faire le bilan de mon activité mois par mois, bien au delà du pécuniaire.
Toujours dans l’idée d’aller gratter dans les fondations de qui je suis pour puiser ma future communication, j’ai ensuite consacré une planche entière d’idéation à « qui je suis ». Là encore, les mots sont très naïfs, les terminologies pas du tout définitives. Mais j’ai dorénavant sous les yeux une « version 1 » qui me servira de base de travail à affiner. Ce qui est assez fou, c’est qu’il y a encore 3 ans, la description de qui j’étais se serait limitée à la partie « designer » dépouillée de pas mal de sa philosophie, et éventuellement un timide encart « oratrice ». Depuis, j’ai nourri exponentiellement toutes les « soft skills » que j’ai graduellement construit pendant toutes ces années d’agence sans vraiment me rendre compte que je pouvais les utiliser. Me voilà aujourd’hui tout à fait légitime à me faire appeler « facilitatrice » ou « mentor », ou encore « moteur d’écosystèmes ».
Prochaine étape, affiner l’aspect personnel pour en tirer 3 ou 4 valeurs clés, une raison d’être qui tient en une phrase, et des objectifs pour résoudre cette raison d’être.
Dans la recherche ci-dessus, il m’était impossible de ne pas réserver un espace spécial à mon Atelier Fondamental. Cet atelier était très expérimental il y a encore un an (l’occasion de remercier les premier·es client·es qui m’ont fait confiance) et il va très certainement beaucoup évoluer dans les jours / semaines qui viennent. Mon plus gros problème pour le moment est d’arriver à le décrire correctement aux gens en leur présentant concrètement ce qu’ils pourraient en retirer, ce que je suis incapable de faire pour l’instant.
J’ai commencé à jeter des idées, dans le même esprit que le reste. Un atelier : pourquoi ? Avec qui ? Comment ? Avec quels résultats promis ? Selon quelles méthodes ? À quel prix ?
Aujourd’hui, l’atelier est construit en trois phases : une séance de divergence où les participant·es et moi échangeons naturellement autour d’une structure de points-clés assez flexible, un premier mouvement de convergence où ils et elles commencent à s’approprier ce qui émerge, puis je repars dans ma tanière pour mettre des mots sur ce que nous avons pressenti comme pouvant être des valeurs et la raison d’être de l’organisation.
Mon ambition est de donner plus de vitalité à l’atelier, le rendre plus interactif avec des méthodes qui soutiennent la collection d’informations et d’idée. J’ai également besoin de meilleurs supports et artefacts physiques pour m’aider dans ma tâche. Enfin, il me faut une structure plus flexible pour rendre les conclusions qui en ressortent, en tout cas un système qui me permette de garder une cohérence dans mes méthodes tout en s’adaptant à chaque cas unique sur lequel je travaille. Entre autres choses, j’aimerais interroger mes client·es passé·es pour mieux comprendre ce qu’elles ont perçu de moi et de l’offre. J’ai aussi présenté mon Atelier Fondamental à des confrères qui me servent de cobayes pour les semaines à venir.
Il reste encore pas mal de boulot sur cet atelier, beaucoup de questions sont encore en suspens et je n’ai pas encore terminé la version 1…
La suite ?
Rendez-vous au mois de mai pour suivre l’avancement de ma divergence. Je ne me fixe comme objectif que de vous tenir au courant, sans me contraindre sur là où je dois arriver. Ce que j’ai envie de partager à travers cette démarche de refonte à ciel ouvert, c’est l’inconfort du lâcher prise, mais aussi toute la confiance qu’on en tire. Quoi de plus beau que de contempler ce que l’on laisse émerger.
Me voilà repartie dans mes notes autocollantes et mes planches A3, rendez-vous au prochain épisode.
Merci à Sara qui me soutient quasi quotidiennement dans cette nouvelle exploration de qui je suis