Inspirée par les travaux du théoricien du design Tony Fry et construite par les enseignants-chercheurs Emmanuel Bonnet, Diego Landivar et Alexandre Monnin, la redirection écologique est une pratique visant à donner un cadre théorique, stratégique et opérationnel à l’action de « rediriger » les organisations, les infrastructures, les activités humaines et les modes de vie pour que les conditions d’habitabilité de la Terre ne soient plus menacées comme elles le sont à l’heure de l’écriture de ces lignes.
La redirection ne se situe pas en opposition à des concepts comme le développement durable, la Responsabilité Sociale des Entreprises ou même la Transition Écologique : elle propose simplement de déporter nos regards et nos pratiques pour adopter des critères différents de ceux sur lesquels les notions suscitées reposent. C’est un pas de côté : comment allons-nous assurer la pérennité de nos conditions de subsistance ? Comment allons-nous explorer ces conditions et leur donner corps pour s’en servir comme base de débat juste et démocratique ? Qu’allons-nous garder ? À quoi serons-nous amené·es à renoncer ? À quoi sommes-nous attaché·es, en tant qu’espèce, en tant qu’individus ?
C’est au sein du Master of Science Stratégie et Design pour l’Anthropocène que la redirection écologique est en même temps enseignée et explorée, au travers d’une « pédagogie par le trouble » (E. Bonnet) et par la recherche. Pour ma part, j’interviens au cours du 2e semestre au cours de deux modules : Redesigning Design et Redesigning Business Models. Je dispense également des modules au sein de certifications professionnelles et de formations à la redirection écologique en entreprise.
Lors de mes cours, j’essaie de sensibiliser les promotions successives d’étudiant·es du Master à plusieurs éléments-clé rassemblés tout au long de mon parcours de designer « effondrée » :
- Les héritages du design : designer implique d’observer l’histoire de ma discipline, ses implicites, les systèmes dans lesquels elle est née et qu’elle contribue à préserver : le consumérisme, l’esthétisation, l’accélération des cycles de consommation, le capitalisme de surveillance, la captologie et l’économie de l’attention pour ne citer qu’eux,
- Les implicites de la pratique : appliquer les « recettes » de la pensée design et des méthodologies de conception à la lettre revient à nourrir le business-as-usual. Quelles sont les manières de concevoir qui inhibent ces biais et favorisent une conception démocratique et apte à distribuer le pouvoir de designer le monde autour de soi ? Comment en finir avec le mirage du/de la designer toute puissante ?
- Tout le monde est designer : le design est une pratique « élémentaire au devenir des humains » (Tony Fry). Elle est avant-tout mentale, composée d’un enchaînement constant de divergence et de convergence. Je tente de montrer aux étudiant·es du Master, souvent issu·es de filières éloignées du design ou de la conception, voire en bifurcation professionnelle, qu’adopter un mode de pensée « design » est à leur portée, et comment le design peut les soutenir dans leur future pratique de redirectionniste,
- Prendre du recul sur les outils pour mieux les mettre à profit au sein d’une démarche de redirection : il existe une myriade de modélisations, de canevas, d’outils opérationnels pour la même myriade d’usages. Les organisations sont friandes des Business Model Canvas ou des Empathy Maps (🇬🇧). La redirection nous invite à bien cerner leurs objectifs, les clichés et les pratiques induites que ces modèles véhiculent pour tirer pleinement parti de ces forces et de ces faiblesses. Nous en userons comme outils de médiation, outils qui en disent généralement long sur les organisations qui les utilisent pour se décrire,
- Mettre en pratique la redirection écologique : nous travaillons en groupes collaboratifs sur la redirection d’outils de gestion, de méthodes de conception et de modélisation de modèles d’affaires, que les étudiant·es appliquent au sein de leur commande.
- Ne pas designer : il convient de réinterroger les interventions produites par le design et de valoriser la possibilité de ne pas designer, de ne pas intervenir, de faire avec ce que l’on a déjà et revaloriser des trajectoires et des possibilités existantes qui avaient été écartées par le business-as-usual.
Vous pouvez consulter certains travaux effectués au sein de ces modules sur mon site, notamment le travail sur les outils et matrices de gestion (2023).
Pour en savoir plus sur la redirection écologique, vous pouvez consulter le site https://ecological-redirection.org. Vous pouvez aussi lire la tribune d’Emmanuel, Diego et Alexandre sur Le Monde (accès abonné·e) ou l’interview d’Alexandre Monnin dans The Philonomist.