Catégories
Publications

Il est temps de repenser notre manière de travailler !

Une réflexion sur le concept de travail et comment nous l’avons fait évoluer jusqu’à aujourd’hui : cet article est tiré de la conférence du même nom, donnée à MiXiT 2017 et dont vous trouverez l’enregistrement audio et vidéo juste ici.

Voir aussi : “El Empleo” par Opus Bou sur Vimeo

“Cette vidéo va vous faire quitter votre job !”, clamait l’article qui la contenait et dont le lien m’avait été envoyé par les réseaux sociaux. Il est vrai que depuis l’intervention de l’année dernière à MiXiT sur le thème du burnout, on m’envoie beaucoup de liens qui parlent du travail.

Ce court-métrage en particulier perturbe beaucoup. Passées les premières secondes où l’on sourit de l’absurdité des situations dépeintes dans cet univers grisâtre, on se questionne assez rapidement sur les différences pas si flagrantes avec le monde dans lequel nous vivons. Tout d’abord, il perturbe notre perception du service : se serait-on mis à nous servir des autres ? À les asservir ?

“El Empleo” décrit l’intolérable réalité : nous nous sommes habitués à nous maltraiter les uns les autres, à être cruel-les avec nos collègues, à envoyer balader les télé-enquêtrices. Nous acceptons pour nous-mêmes et pour nos semblables des situations dégradantes, des maltraitances et des conditions de travail illégales mais qui nous sont presque imposées si nous voulons décrocher le sésame de l’emploi. Les conséquences sont lourdes : pour tolérer l’absurde, l’intolérable, on devient au mieux cynique, au pire petit à petit incapable d’empathie. À travers les jobs irréels dépeints dans “El Empleo”, on devine la course à l’emploi, celui qui empêchera les gens d’être oisifs, à tout prix, quitte à les suspendre à un feu de signalisation. On exige des gens qu’ils trouvent un CDI, malgré le chômage qui n’arrête pas d’augmenter et la robotisation qui menace les petits emplois… Et ces visages sans expression, aux yeux à peine ouverts, cette absence totale de paroles et d’échanges, cet enchaînement de gestes mécaniques sans aucun sens… Tout ça fait froid dans le dos.

Au premier visionnage de ce court-métrage, une pensée m’est venue : “je me lève le matin pour me faire marcher dessus”. Et de me remémorer les situations où, dans ma vie professionnelle, j’ai vécu cette sensation en allant au travail…

…Mais voyons les choses du bon côté ! Aujourd’hui, tout est fait pour que nous ne tombions jamais dans cette dystopie dégradante. Les entreprises engagent même des “Chief Happiness Officers” pour mettre en place les conditions favorables à l’engagement total des salariés dans leur travail, en levant tous les obstacles personnels et privés possibles : on s’occupe de votre linge et de vos paquets à affranchir, on vous livre des légumes, on vous congèle même vos ovocytes pour que vous puissiez enfanter plus tard, quand cela ne dérangera pas l’entreprise ! On installe des babyfoots et les bières sont à volonté (merci bien, mais je préférerais quelque chose de plus inclusif qu’un babyfoot, ou carrément être payée à hauteur de mes homologues masculins…).

Mieux encore, le travail est devenu un moyen de SE dépasser personnellement, de tester ses limites et d’apprendre à se connaître. Combien d’offres d’emploi commencent aujourd’hui par “Vous cherchez de nouveaux challenges et ne comptez pas vos heures” ?(non merci, moi je préfère qu’on respecte le temps libre nécessaire pour pouvoir me reposer…)
Le bonheur en entreprise est possible, c’est même devenu un véritable diktat, le bon salarié est un salarié heureux et forcément productif !

Sauf que le burnout, lui, n’attend pas l’arrivée d’un Chief Happiness Officer.

Quatorze ans après l’attaque du World Trade Center, le 11 septembre 2014, je suis tombée malade du burnout. Il y a tout juste un an de cela, je venais parler de ce syndrome, ici-même à MiXiT, accompagnée de mon ancien collègue et dorénavant compère de conférences, Goulven Champenois (vidéo disponible en ligne). J’avais mobilisé une quantité immense d’énergie pour participer au dîner organisé pour les orateurs le mercredi soir, trop d’énergie pour me permettre de récupérer en une nuit et être prête pour le premier jour de conférences le lendemain. Même après plus de 6 mois d’arrêt maladie, j’étais encore clairement inapte à supporter plusieurs heures d’efforts de discussion avec des gens que je ne connaissais pas ou peu. C’est dire comme le burnout vous entraîne bas dans vos ressources physiques et émotionnelles.

Le burnout est la maladie de la perte de sens, quand votre esprit ne supporte plus l’absurdité, l’impuissance, le désespoir que votre travail vous impose, et que votre corps et votre esprit lâchent du jour au lendemain. Si vous souhaitez en savoir plus sur le sujet de l’épuisement professionnel, j’ai publié mon propre témoignage (en français et en anglais), Goulven également, et nous avons lancé la publication Medium “Burnout : rallumons la flamme” où sont réunis des témoignages de personnes touchées par le syndrome, ainsi que des articles de fond pour trouver informations, soutien et écoute bienveillante.

Oui, on peut se sortir du burnout. C’est un processus souvent très long qui demande au minimum plusieurs mois, parfois plusieurs années, au gré d’un travail sur soi profond. Ce travail, je l’ai entamé une paire de mois après ma “chute”, quand j’ai pu ressortir de chez moi sans être assaillie de crises d’angoisses. Ma première action significative fut de prendre une carte à la bibliothèque : bien décidée à comprendre ce qui m’arrivait, je me suis laissée aller à une frénésie de lecture. Ouvrages dédiés au burnout, témoignages de malades, de managers, de sociologues…

Karōshi. La mort par surcharge de travail. Encore aujourd’hui en 2017, le travail tue des gens. Des personnes meurent subitement de crise cardiaque alors qu’elles étaient en pleine santé, développent cancers et maladies chroniques, sont frappées d’un tel niveau d’épuisement professionnel qu’elles préfèrent en finir avec la vie.

Notre patron nous avait dit que seuls les gens faibles se laissaient toucher par le burnout et la dépression. Il ne m’en a pas fallu beaucoup plus pour en déduire que ma souffrance était entièrement et uniquement de ma faute. J’ai donc fait le point sur ma responsabilité individuelle, sur mes faiblesses et mes forces, sur les décisions (et les non décisions) qui avaient sculpté mon parcours de travail. Certes, mes limites personnelles étaient bien trop vastes. Certes, j’en avais bien trop accepté et n’ai pas su gérer mon empathie débordante sur le long terme.

Mais de fil en aiguille, de témoignage en témoignage, d’études en statistiques effrayantes sur le nombre de personnes épuisées par le travail, j’ai commencé à sentir que ma première hypothèse ne tenait pas. J’ai donc cherché plus loin, cherché à comprendre la responsabilité et l’implication de mon employeur, de ses choix de méthodes de management, de ses choix stratégiques qui avaient petit à petit perdu tout sens pour moi. Et puis j’ai lu des articles publiés dans d’autres pays européens, à d’autres époques, soulignant l’incroyable et inquiétante montée du burnout. Jusqu’à me dire qu’on ne pouvait pas tout mettre sur les épaules des seuls individus.

Et s’il n’était qu’un symptôme ? un signal envoyé par une société malade qui ne veut plus occuper de “bullshit jobs” ?

“Le burnout est encore trop souvent vécu comme un drame de l’insuffisance individuelle, alors qu’il relève d’une pathologie sociale, sinon même de civilisation.”
Marie Pezé, psychologue, docteure en psychologie et fondatrice de Souffrance et Travail (source)

Je n’accepte pas que le burnout soit civilisationnel. Je n’accepte pas que notre société du travail nous abîme à ce point et contribue à créer de l’absurde. Je n’accepte pas le silence autour de l’épuisement professionnel. Quand mon cerveau a recommencé à fonctionner correctement, je me suis mis en tête de commencer l’écriture d’un livre sur le travail et le burnout. Certaines lectures en particulier m’ont permis de poser les bases de ce que j’aimerais écrire, mais m’ont surtout apporté un éclairage bien spécifique sur des aspects de ma personnalité et de mon parcours personnel et professionnel. C’est avec plaisir que je les partage avec vous, si toutefois elles peuvent vous aider autant qu’elles m’ont aidée :

  • Alice Miller, “Notre corps ne ment jamais” : Alice Miller nous a quitté-es en 2010 et a publié nombres d’ouvrages sur la maltraitance psychologique, notamment des enfants. À travers ce livre, elle nous invite à être attentifs-ives aux signaux que nous envoie notre corps, qui témoignent bien trop souvent d’un conflit intérieur entre ce que nous ressentons et ce que nous aimerions (ou croyons que nous devons aimer) ressentir, pour ne plus nier nos souffrances.
  • Marie Andersen, “La manipulation ordinaire — Reconnaître les relations toxiques pour s’en protéger” : ce livre nous aide à reconnaître ce qui n’est pas de l’ordre d’une relation saine et à nous en protéger. Il fut une clé indispensable dans ma progression en m’aidant à reconnaître que certains membres de mon entourage professionnel et personnel n’étaient absolument pas bienveillants envers moi, alors que j’étais incapable de le percevoir. Il m’aide encore au quotidien.
  • Samuel Michalon, Baptiste Mylondo, Lilian Robin, “Non au temps plein subi !” : ce “plaidoyer pour un droit au temps libéré” traite du temps que nous passons au travail, à nous adapter et adapter nos rythmes de vies à ce dernier. Ne pas travailler n’est pas envisageable aujourd’hui, les gens qui souhaitent faire autre chose de leur temps, ne serait-ce que se reposer d’une activité trop intense, sont vivement critiqués. Les trois écrivains proposent une nouvelle vision sur l’activité humaine et sur notre rapport au temps.
  • Danièle Linhart, “La comédie humaine du travail — De la déshumanisation taylorienne à la sur-humanisation managériale” : cet ouvrage capital dans mon parcours de recherche est proposé par la sociologue et chercheuse au CNRS Danièle Linhart, qui s’intéresse à la question du travail depuis plus de 30 ans. Incroyablement abordable et captivant, ce livre déstabilise notre vision du management et de la manière dont nous envisageons l’organisation du travail aujourd’hui. C’est grâce à lui si j’ai pu faire avancer ma réflexion sur le burnout.

J’ai découvert Danièle Linhart en août 2015 à travers un de ses textes, un article du Nouvel Obs intitulé « Les effets destructeurs du management à la cool ». Il tombait à pic, au moment où je commençais à ne plus me sentir très bien dans mon job sans comprendre vraiment pourquoi. J’ai opiné du chef durant toute sa lecture. Avec “La comédie humaine du travail”, Danièle Linhart développe ses recherches et nous propose de nous arrêter un moment sur le Taylorisme.

Revenons donc aux environ des années 1900. L’ingénieur Frederick Taylor met au point le Taylorisme, que l’on appelle aussi organisation scientifique du travail. Pour augmenter la productivité des usines et de l’industrie, il préconise que le travail des ouvriers soit découpé en processus, dont les clés seraient documentées et gardées par la direction. Il décrit et chronomètre les tâches pour assurer un rendement optimum, et va jusqu’à introduire le concept de « meilleure façon », (the best way), le tout étayé par la science… Difficilement discutable, n’est-ce pas. Les conséquences sont drastiques : les ouvriers se retrouvent dépossédés de leur savoir, leur expérience ne vaut plus vraiment grand chose, ils deviennent parfaitement interchangeables, on leur impose tout dans les moindres détails : rythmes de travail, outils et méthodes… Plus aucune place n’est laissée à l’initiative personnelle, puisque c’est la science, érigée en sainte maîtresse, qui dicte la meilleure façon de faire. La souffrance au travail apparaît, physique et mentale, et avec elle les ouvriers qui commencent à s’en plaindre… “Vous êtes libres de partir, si vous n’êtes pas content”, leur répondra la direction.

Avec l’organisation scientifique du travail, Taylor a simplement inscrit la domination dans la définition et l’organisation même des tâches, et profondément déshumanisé le travail. Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Les choses ont changé, non ?

Pas vraiment… Danièle Linhart nous dit que rien de l’œuvre de Taylor n’a vraiment été remis en question à travers les décennies qui ont suivi. Nos méthodes de travail sont toujours scindées en process qui n’ont peu ou pas de sens, nos organisations accumulent de l’inertie, nos jobs sont bien souvent interchangeables. Pour compenser ce manque d’humanité toujours palpable dans le travail, on assiste à l’émergence d’une sur-humanisation. À travers cette sur-humanisation, le management moderne mobilise la subjectivité des salarié-es (les émotions, l’affect, les compétences cognitives).

Pourtant, nous travaillons dans des entreprises pour une raison évidente : que celle-ci exploite la facette professionnelle de notre être, notre professionnalité, que nous lui vendons contractuellement. Nous ne venons pas au travail pour qu’on juge notre affect ou nos émotions.

Le contraste saisissant, la dichotomie intolérable qui est créée de l’opposition entre déshumanisation et sur-humanisation crée des situations de stress et de souffrance au travail. On impose aux gens les modalités qui favoriseront une profitabilité à très court terme, mais on ne leur demande plus leur avis sur celles-ci. Les salarié-es ne sont plus entendu-es, plus écouté-es, et donc plus valorisé-es à travers l’exploitation de ce qu’ils-elles font le mieux : leur travail. La raison même de l’existence de leur poste est parfois tellement difficile à justifier par des arguments rationnels, les objectifs de l’entreprise trop flous ou trop éloignés de leurs idéaux personnels qu’ils-elles se retrouvent un jour en burnout.

Les Ressources Humaines. RessourcesHumaines. Ce terme m’a toujours grandement chiffonnée et témoigne de toute cette distanciation par rapport aux personnes que le Taylorisme a réussi à installer.

Toutes mes excuses d’avance aux RH qui lisent ces lignes et qui font tout ce qu’ils ou elles peuvent pour améliorer la vie des personnes de leur entreprise, mais pour moi, nous avons accepté une modification profonde de notre langage sans en saisir l’importance : on est soit une ressource, soit un être humain. À grands renforts de slogans qui veulent remettre de l’humain au cœur de l’entreprise, on clame haut et fort qu’on ne veut pas voir de professionnels, mais qu’on veut voir des Hommes et des Femmes. Les nouvelles méthodes de management sont centrées autour de relations de plus en plus psychologiques, martèle Linhart. On met en place des 360° reviews, des questionnaires subjectifs où vos collègues jugent votre capacité à bien faire votre travail, votre “performance” et votre comportement dans l’entreprise. Et ce n’est pas le seul outil de management par la terreur. Que dire des open spaces où la liberté de collaborer se transforme en prison dorée du stress et de l’incapacité à se concentrer, le tout sans possibilité de s’isoler pour faire son travail ?

Lors des entretiens annuels, le management sur-humanisé peut déraper et les employé-es se retrouvent jugé-es sur leur investissement dans l’entreprise, leur motivation, leur mérite, des notions absolument subjectives, difficilement quantifiables. Ces jugements irrationnels n’ont bien souvent rien à voir avec le travail effectué, la réelle performance par rapport à la mission assignée à l’employé-e ou par rapport à l’objectif de l’entreprise. Petit à petit, on vous conseille de mettre votre éthique personnelle de côté, pour embrasser celle de l’entreprise.

Et c’est comme ça que je me suis retrouvée persuadée que tout était de ma faute… Mon burnout, ma dépression… Cette subjectivité exploitée par les méthodes de management modernes rend les gens dépendants au besoin de reconnaissance. Sauf qu’on ne leur donne plus de reconnaissance rationnelle et quantifiable, d’où de plus en plus d’effondrements et de burnouts. Comment trouver suffisamment de reconnaissance quand vous attendez parfois plusieurs années votre augmentation, en fournissant des efforts au delà de votre fiche de poste et que quand celle-ci pointe son nez, on vous dit “il va falloir nous prouver que tu mérites ce nouveau salaire, refaisons-le point dans 3 mois” ?

Il y a bien d’autres aspects de nos manières de travailler qui sont problématiques et qui contribuent à créer des environnements anxiogènes et déséquilibrés. Danièle Linhart évoque la précarisation subjective, un phénomène qui consiste à rendre l’emploi, même stable, toujours risqué, menacé… Plans sociaux, réorganisation des bureaux, fusion d’équipes, changement régulier de matériel ou de logiciel, pression sur les cadres à être mobiles et à changer de poste tous les 2–3 ans… « Le but est de produire de l’amnésie ». Faire en sorte que les gens se sentent précaires dans leur perception de leur job, même si celui-ci est fondamentalement stable.

Dans le monde de la précarité subjective et de la sur-humanisation, on peut facilement juger les gens selon s’ils sont de BONS ou de MAUVAIS salariés. Le bon salarié, il fait quoi ? “Bah il vit sa boite. Il mord sa boite à pleines dents.” Il travaille dans un call-center qui organise des concours de déguisements, se retrouve à apporter au travail des photos de lui enfant pour participer au concours du plus beau bébé, et s’il gagne, il peut aller jouer à la console pendant sa pause. Le jeu, les e-learnings et la gamification du travail, c’est une autre emprise sur les employés qui, s’ils refusent de participer, se retrouvent mis de côté, traités de mauvais joueurs ou de mauvais participants à la “culture” d’entreprise. Et c’est la meilleure manière d’infantiliser les gens, de les les considérer incapables de gérer leurs émotions ou de faire preuve d’esprit critique.

Peu à peu, on investit la subjectivité des individus dans un système qui, pourtant, ne la respecte pas, puis on leur fait croire que leur sort est malgré tout le plus enviable. Car quand ils aspirent à une vie meilleure dans le travail, on a vite fait de les remettre à leur place :

« Tel est le but de tout conditionnement : faire aimer aux gens la destination sociale à laquelle ils ne peuvent pas échapper. Le conditionnement des individus les pousse non seulement à être heureux de leur sort et de la caste à laquelle ils appartiennent, mais les détermine à penser qu’une situation autre est inenvisageable. »
-Aldous Huxley, Le meilleur des mondes

Les quelques générations avant la nôtre qui ont connu le plein emploi sont celles qui réagissent de manière la plus épidermique aux rêves des jeunes gens d’aujourd’hui.“Quoi ? Entrepreneur ? Actrice de théatre ? Écrivain public ? À TEMPS PARTIEL ? Ne rêve pas enfin, joue la carte de la sécurité et vise plutôt un CDI. Pense à ta retraite. Et sans CDI, tu n’achèteras jamais de maison.” Combien de salarié-es dans des structures grandes ou petites restent en poste ou enchaînent les contrats sans jamais s’arrêter, en rêvant toute leur vie d’un chemin professionnel différent ? Combien trouvent enfin la force de tout envoyer balader à 55 ans, pour devenir restauratrice ou antiquaire ? Le poids du CDI, l’injonction à travailler à plein temps et à faire de notre travail non seulement la seule source de revenus, mais aussi la seule source de plaisir, d’émancipation et de progression dans nos vies a des effets terribles sur notre épanouissement personnel. Au bout de quelques semaines d’arrêt maladie, alors que j’étais encore prise d’angoisses terribles et que l’idée même de reprendre mon travail me faisait fondre en larmes, mes parents me firent part de leur inquiétude : « tu ne vas quand même pas rester sans travailler ??? »

Sans travailler… Le travail… Avec le temps, le mot travail s’est chargé d’un tout autre sens. Nos réalités évoluent avec le langage qu’on leur définit : le terme “ressources humaines” n’est pas si vieux à l’échelle du travail et du salariat. Exit la « récession », parlons plutôt de « croissance négative ». Le mot travail quant à lui, vient du latin “trepalium” (un engin de torture) venant lui-même du latin “tripalium” qui signifie torturer, tourmenter. En anglais, le mot labor nous rappelle toute la dimension pénible du travail : labourer, travailler la terre, le travail de l’accouchement, long et douloureux.

Sauf qu’on oublie que le mot travail décrit avant tout l’activité humaine. Et que celle-ci inclut bien plus que le salariat : le bricolage, le ménage et l’entretien du lieu de vie, la toilette, les devoirs scolaires, l’aide à un parent malade, l’éducation des enfants… Aujourd’hui, on réduit trop souvent le travail à son utilité non plus sociale, mais économique. Une personne qui passe la tondeuse chez elle n’a aucune utilité, on ne va quand même pas la payer. La même personne qui passe la tondeuse en tant qu’employée de mairie devient un poids financier pour la société. Si elle est employée par une société privée, contractée par la mairie, alors celle-ci devient contributrice de la société. Et devient légitime. La tendance est même plutôt à rémunérer les emplois les moins utiles socialement (postes de direction, consultants en tous genres), et à délaisser ceux qui le sont (métiers du soin, de l’assistance, de l’éducation…).

Mais rappelons-nous que le travail n’est pas que le salariat.

En octobre dernier, en plein dans ma phase de recherche pour écrire sur le burnout, une conférence a attiré mon attention. Celle que donnait, entre autres intervenants, Pierre-Yves Gomez, économiste, docteur en gestion et professeur à l’EM Lyon, intitulée “Donner le goût du travail, c’est vital !”. Voici quelques chiffres évoqués lors de cette intervention passionnante :

  • 50% de l’activité humaine seulement est rémunérée. L’autre moitié est constituée de bénévolat, d’associatif, de soins aux proches, de l’éducation des enfants…
  • 66% des activités non rémunérées sont occupées par des personnes à la retraite.
  • De l’activité humaine rémunérée, nous attendons qu’elle couvre 80% de nos besoins financiers.
  • Dans les 15 prochaines années, c’est entre 15 et 45% des emplois salariés qui vont disparaître face à la robotisation.

Des faits dont on ne mesure clairement pas l’ampleur. Et pourtant, nous nous accrochons à l’illusion du plein emploi alors que les chiffres sont éloquents et que nous savons pertinemment que le salariat va drastiquement diminuer dans les années à venir.

Aujourd’hui, 87% des emplois salariés sont des CDI. Aujourd’hui, votre utilité sociale et votre mérite se définit si oui ou non vous contribuer à l’effort collectif grâce aux cotisations sociales, ces fameuses “charges”, que vous payez sur votre salaire. Le CDI vous donne accès non seulement à un logement ou un prêt bancaire, mais aussi un statut social. On traite les gens au chômage comme des moins que rien car « on les paie à ne rien faire », pourtant ce sont des DROITS au chômage qu’ils ont acquis. (NDA : question posée à l’auditoire 🙂 Qui a perdu des amis à cause d’une longue période de chômage ? Sans CDI, tous les aspects de votre vie seront plus compliqués. Si vous ne cotisez pas, vous n’avez pas droit au soutien du système. C’est d’une violence sans nom, vous ne trouvez pas ?

Dans ce contexte, l’entreprise se retrouve parfois toute puissante : c’est elle qui vous fait la faveur de vous employer pour que vous puissiez vous insérer dans la société, puisque l’emploi est votre seul salut. Lors de Sud Web 2016, Goulven et moi avions invité notre auditoire à partager leurs histoires. Lors de l’exercice, J nous avait confié que son dirigeant avait annoncé à son contingent, dans la plus grande décontraction : « oh vous savez, je n’ai pas vraiment besoin de vous en fait, je vous emploie par charité. »

“The most common way people give up their power is by thinking they don’t have any.” — “Comment faire pour que les gens abandonnent leur pouvoir ? Faites-leur croire qu’ils n’en ont pas.” — Alice Walker

Jusqu’à maintenant, j’avoue que je n’ai pas été très positive. Il est vrai que mes recherches ont fait naître beaucoup de colère en moi. Déjà parce que le burnout m’a immobilisée pendant plus de 6 mois, a détruit ma santé et ma confiance en mes capacités, m’a obligée à quasiment réapprendre à travailler et me pénalise encore chaque jour. J’ai encore beaucoup de mal à accepter ce que nous avons fait du travail et du management. D’ailleurs, je ne l’accepte pas, ni ça ni la souffrance que cela produit sur mes pairs.
D’où cette intervention, d’où cette phrase d’inspiration ci-dessus pour engager une nouvelle discussion entre nous, et vous inciter à le faire autour de vous. J’aimerais que l’on réfléchisse à des solutions ensemble.

Le 6 février dernier, j’ai eu la chance d’assister à la keynote d’ouverture de la conférence Interaction 17. Chelsea Maudin interpellait les designers et leur posait une question-clé : à qui décidons-nous de donner du pouvoir à travers les artefacts que nous concevons ? Aujourd’hui, à qui le système actuel de travail et d’emploi donne du pouvoir ? Pas aux bonnes personnes. En tout cas, pas tel que nous l’avons conçu. Le travail nous permet pourtant d’exercer toute la richesse que nous avons à offrir, richesse qui ne nous revient que rarement, et rarement assez.

Je n’ai pas encore de réponses à toutes les questions évoquées jusqu’à présent dans cette intervention, mais j’aimerais que nous identifiions ensemble des pistes de réflexion.

“Don’t empower, emancipate!”

L’holacratie est un principe d’organisation dite libérée (dont fut entre autres tiré un système (framework), Holacracy). La hiérarchie pyramidale par strates, principe le plus répandu dans nos organisations, ne résout qu’une complexité relativement limitée. Dès qu’un problème complexe apparaît, elle apporte de l’inertie et fait perdre du temps et des ressources à cause d’incessants allers-retours dans une structure inflexible. L’holacratie relâche les carcans de la pyramide en nous incitant à faire confiance à toute personne dans l’organisation : quiconque peut prendre des décisions sans être labellisé « chef-fe », il suffit qu’il ou elle ait consulté les experts sur le sujet et les gens sur qui la décision finale aura un impact. C’est tout. Et surtout, sans chercher le consensus classique, où tout le monde fait des concessions pour que chacun-e soit “satisfait”, mais où la solution est finalement inadaptée au problème que l’on cherchait à résoudre.

Au delà de leurs modes d’organisation novateurs, les entreprises libérées ont surtout éliminé les contrôles et les symboles de pouvoir.Elles se posent la question de ce qui empêche les gens de se responsabiliser et s’auto-gérer. Au lieu de limites floues qui permettent de reprocher tout et n’importe quoi à n’importe qui, on délimite clairement les territoires de responsabilité en laissant aux gens exercer leur expertise dans la planification et les méthodes et l’exécution. L’holacratie n’est pas un “joyeux bazar” : elle porte des principes de résolution de problèmes et de gestion de conflits, elle propose des structures souples et légères. C’est en ça qu’elle semble parfois perturbante à nous qui avons pris l’habitude du poids gigantesque que les organisations pèsent sur nos épaules.

C’est grâce à des entrepreneurs-euses courageux-euses qui se sont intéressé à l’inertie et l’inflexibilité des systèmes que le mouvement « Reinventing Organizations » de Frédéric Laloux commence à prendre de l’ampleur. Frédéric Laloux, ancien consultant business, a mené une recherche fondamentale sur les modèles organisationnels émergents en suivant des centaines d’entreprises : « Nous avons le sentiment profond que notre façon de nous retrouver, de penser le management au sein des organisations ne correspond plus à nos attentes. »

Travailler autour d’un objectif & remettre nos valeurs en avant :

Au long du burnout, j’ai mené un travail personnel très profond, jusqu’à me poser la question de mes valeurs intrinsèques, à remonter petit à petit jusqu’à mon objectif et mes décisions du quotidien, pour faire tendre mon existence vers cet objectif. Si vous souhaitez en savoir plus sur ce processus, vous pouvez en voir la première phase de définition d’un objectif personnel dans “Designer, où vas-tu ?” chez IxDA Lyon, puis son évolution et ses applications dans « Se réinventer et être soi à l’ère du numérique » à Blend Web Mix 2016.

Formuler un objectif pour soi permet de garder la tête plus froide quand les choix du quotidien se posent à nous : si nous prenons le temps de nous rappeler nos valeurs profondes, notre raison d’être, l’impact social que nous voulons avoir, nos passions et là où nous souhaitons orienter notre vie, on se trouve plus fortes et plus forts face au chant des sirènes du management, des heures sup’, des missions dégradantes et autres bullshit jobs. Il est facile de se laisser emporter par le confort apparent d’une situation professionnelle qui n’a pourtant rien de confortable pour notre âme, nos aspirations intrinsèques et notre parcours de vie.

C’est également à nous d’inciter les entreprises. Elles DOIVENT faire de même et définir et afficher leurs valeurs. Je pense qu’il est essentiel que ce travail ait lieu, et à travers lui nous pourrons donner naissance à de véritables cultures d’entreprises, de meilleurs recrutements, des organisations et des salarié-es plus heureux-euses. Cette question des valeurs de l’entreprise, de l’adéquation à celles des employés et au partage d’une même culture organisationnelle n’arrive que bien trop tard dans les processus de recrutement : au mieux, on l’évoque vers la fin. Prédominent les compétences supposées, parfois la rémunération. Jamais on ne met en regard la manière de faire les choses, de résoudre les problèmes, de s’écouter les uns les autres, tous ces aspects humains pourtant très techniques et essentiels au bon fonctionnement de n’importe quel système. 
Il ne tient qu’à nous de commencer et d’inciter les entreprises à le faire avec nous !

Redonner goût au travail :

Pierre-Yves Gomez nous propose une définition du travail et comment y (re)donner goût. Il faut pouvoir :

  • apprendre du travail,
  • participer à la définition de ce qui doit être fait, et comment cela doit être fait,
  • obtenir de la reconnaissance pour le travail accompli, y trouver une utilité sociale, de l’estime de soi,
  • pouvoir s’approprier le sens / l’objectif global de l’entreprise et du sens du poste qui contribue au sens global (un aspect totalement éliminé par le taylorisme !),
  • trouver suffisamment de place pour prendre des initiatives et rester entrepreneur de soi,
  • avoir le sentiment de s’engager dans un projet collectif,
  • obtenir une rémunération décente et pouvoir entretenir un équilibre de vie émotionnel et physique.

Je vous invite à ingérer ces notions-clé et à vous poser la question : votre travail vous nourrit-il ? Avez-vous perdu le goût du travail, celui qui apporte une véritable contribution non pas juste à une économie, mais au développement d’un réel projet de société, d’un tissu social, d’une contribution mutuelle au bien-être de chacun-e ?

Accepter et anticiper les mutations,

en créant des organisations suffisamment souples pour s’adapter aux nouvelles technologies (et pas l’inverse !), en créant des postes adaptés au plus grand nombre, en prenant en compte la diversité des individus et de leur potentiel de contribution.

Internet a changé le monde du travail, mais lui n’a pas changé d’un iota. Pourtant, le recrutement a totalement changé, les relations elles-aussi ont muté, les méthodes de communication au sein des entreprises ne sont plus du tout les mêmes. L’instantanéité, la sur-exposition au travail jusque dans les moments de repos… Pourtant, à travers le burnout ou à travers des choix différents et des chemins professionnels de plus en plus diversifiés, les gens commencent discrètement à refuser l’absurdité du travail et du management moderne. Ce phénomène ne peut aller qu’en s’amplifiant, le constat est déjà clair : le burnout est la pointe de l’iceberg, et celui-ci est de plus en plus visible. Difficile d’ignorer ce phénomène. Au lieu de perdre des heures précieuses de leur vie dans les transports, les employé-es demandent de plus en plus à travailler de chez elles-eux. Réclament leur temps. Ils-elles écrivent des plaidoyers pour le temps partiel, ils-elles ont envie de s’engager à nouveau dans l’associatif, dans des activités qui les nourrissent, parce que le travail ne peut pas ou plus le faire. Aujourd’hui, beaucoup d’entre nous n’ont plus envie de considérer le reste de leur existence comme un simple « à-côté » du travail.

Pour nous assurer que le plus grand nombre d’entre nous ait le choix, pour partager le privilège de pouvoir changer d’emploi sans se plonger dans une situation de vie ou de mort, pour permettre aux plus précaires de ne plus être les victimes de leur emploi, activons le pouvoir dont nous disposons pour refuser l’absurdité de conditions inhumaines.

Favorisons la création d’environnements de travail inclusifs plutôt que rigides et adaptés à une minorité : valorisons la différence, la neuroatypie, et arrêtons de nous entasser dans des open spaces quand bien d’autres manières de nous réunir existent, plus respectueuses de l’individualité de chacun. Oui, certaines personnes ne peuvent pas travailler dans un environnement bruyant ou baigné de distractions. Oui, d’autres ressentent de l’anxiété à l’idée de se contraindre à un horaire arbitraire. La collaboration peut être bien plus souple si l’on consent à lâcher du lest sur le micro-management et le micro-contrôle qui ne font que cacher la forêt.

Autres modes de pensée :

Et si on ne rémunérait plus les personnes en fonction de leur travail, mais simplement parce qu’elles font partie de la société ? Essayons d’envisager le travail autrement, pas juste comme le paramètre social et économique ultime. J’ai souvent des discussions avec mon entourage, dont certains membres sont continuellement effarés quand je leur parle de revenu de base. « Mais tu ne vas pas payer les gens à rien faire !! »

Pour commencer, on le fait déjà ! Certains “bullshit jobs” isolent des gens à des postes où ils ne peuvent vraiment faire que 2 à 3h de travail effectif, simplement à cause d’une immense inertie en interne, où qu’ils ont été plus ou moins isolés dans un service qui ne fait qu’illusion sur son utilité. Alors qu’eux ne souhaitent qu’une chose : qu’on leur donne les moyens de bien faire leur travail !

Ensuite, je ne crois absolument pas que les êtres humains soient oisifs par nature : nous aimons faire des choses, nous aimons interagir et participer à des projets collectifs, c’est dans notre nature. Si ce n’était pas le cas, il n’y aurait pas d’associatif, n’est-ce pas ?

Enfin, imaginez-vous libéré-es de quelques heures par jour, de quelques jours par mois, de quelques mois par ans où votre rémunération serait maintenue. Combien de projets personnels verraient enfin le jour ? Que feriez-vous si vous n’aviez qu’à travailler à mi-temps pour le même revenu ?Combien d’entre nous reprendraient des études qui leur sont interdites de par leur coût, le temps nécessaire à les accomplir, ou leur âge ? Le tout sans avoir peur de se retrouver sans revenu ? À quoi ressemblerait la société si nous pouvions changer de carrière, si nous pouvions nous octroyer quelques semaines de pause entre deux emplois, si nous pouvions élever nos enfants sans avoir à sacrifier un des deux emplois dans un couple, si nous avions simplement le temps de souffler sans peur de tomber dans la précarité ? Que dire des emplois à temps partiel forcés, les double, triples journées des plus précaires ? Et le seuil de pauvreté qui pourrait peut-être enfin disparaitre si chacun-e avait un revenu lui assurant un minimum décent…

En toute sincérité, moi ça me dirait bien de “payer les gens à rien faire”.

Voici un clin d’oeil à Emilie Esposito dont l’intervention était dédiée au cargo cult agile (vidéo disponible ici). Le cargo cult, ou culte du cargo est ce qui arrive quand on adopte une méthodologie toute prête et que l’on essaie de l’appliquer sans en comprendre les fondations, tout en espérant obtenir le même résultat que ceux qui l’ont adoptée avant nous. Si votre entreprise ne pratique pas la confiance et ne la porte pas dans ses valeurs profondes, difficile pour elle d’implémenter l’holacracy. Le télétravail est de plus en plus souvent brandi comme un « cadeau » fait aux employés. Mais sans confiance, encore une fois, cette mesure sera entourée de contrôle et tous les bénéfices qui pourraient en ressortir seront mis en péril. Les “cadeaux” managériaux n’en sont souvent pas. Ne les prenez pas comme tel.

Votre entreprise n’est pas votre famille. Vous avez déjà une famille. Et elle a besoin de vous. Vous avez le devoir de protéger votre santé et votre intégrité avant tout. Gardez une distance saine avec votre organisation. Même si vous êtes associé-e ou partenaire, même si vous possédez des parts. Gardez un rythme qui vous permet de vous retrouver, soit seul-e, soit avec les personnes que vous aimez. Apprenez de vous-même, travaillez sur vous pour mieux percevoir les limites dont vous avez besoin. L’entreprise est un moyen d’atteindre un but, parfois commun, (trop souvent) financier, (trop rarement) social et humaniste. Certes, elle vous apprendra beaucoup sur le monde et sur vous-mêmes, vous allez grandir avec elle, elle vous nourrira sûrement intellectuellement, mais gardez en tête la raison pour laquelle vous êtes salarié-e : parce que vous vendez votre temps et votre professionnalité à une structure pour lui permettre d’atteindre ses objectifs, qu’elle n’atteindrait pas sans vous. Vous avez le droit de refuser un tutoiement, une attitude trop familière, des jeux d’équipe auxquels vous n’avez pas envie de participer. Vous avez le devoir d’étudier en profondeur votre contrat de travail, et avez le droit d’en négocier des parties : après tout, votre emploi occupe l’immense majorité de votre temps éveillé, vous y passez plus de temps que dans votre foyer ! Connaissez vos droits, lisez votre convention collective, c’est essentiel. Je vous souhaite de ne jamais avoir de problèmes, mais mieux vaut y être préparé-es, je vous l’assure. Si vous avez besoin de conseils ou si vous n’arrivez pas à accéder à ces ressources qui doivent pourtant être mises à votre disposition, tournez-vous vers les conseillers du salarié, que l’on peut consulter gratuitement. L’inspection du travail répondra également à vos questions, n’hésitez pas à les contacter.

Vous avez besoin de temps pour vous :

Le cerveau DOIT s’aérer. Le corps DOIT se reposer. Vous avez besoin de (et DROIT à du) temps. Restez entrepreneur-euse de vous même. Prenez rendez-vous avec vous-même de temps en temps, une ou deux fois par an, et posez-vous des questions essentielles :

  • Ai-je le temps de me restaurer ?
  • Est-ce que je trouve dans mon activité toute la stimulation dont j’ai besoin ?
  • Où ai-je envie d’aller personnellement et professionnellement ?
  • Mon poste et mon tracé de carrière actuel contribuent-ils toujours à m’y mener ?

Vous avez besoin de respect. Certaines situations ne sont pas normales. La limite entre le rapport hiérarchique et le harcèlement moral peut être difficile à percevoir, et c’est parfois après un long travail sur soi-même et notre rapport aux autres que nous arrivons à ajuster notre rapport au management et à la hiérarchie.

Ah, et je me permets d’ajouter quelque chose. On en a marre du sexisme dans les organisations, quelles qu’elles soient. Je n’en peux plus d’entendre l’argument de la discrimination positive, d’entendre des hommes (et même des femmes !) clamer qu’on engagera une femme si elle prouve qu’elle est aussi bonne qu’un homme, en gros. Accuser la discrimination positive d’être inutile et inefficace, c’est ignorer et rendre invisible les siècles d’oppression, les décennies de désinformation et d’influence qui ont chassé les femmes des positions de direction ou prestigieuses, ou du monde de la tech. Les faits sont clairs : dans les années 80, la manière dont l’informatique a été présentée au grand public a massivement détourné les femmes des études en informatique. Et qui se plaint qu’il est impossible de recruter des femmes aujourd’hui ?

J’en ai marre d’entendre des femmes me raconter qu’on leur a encore demandé en entretien d’embauche si elles comptaient avoir des enfants, alors qu’on ne le demande jamais à un homme, même en âge de fonder une famille. Je suis littéralement malade quand on me raconte que la petite amie d’une connaissance s’est vu dire par son N+2 « “On ne peut pas vous garantir une progression, il faut que nous prenions en compte votre futur de femme et de mère ». Non seulement c’est illégal, puisque discriminatoire, mais cela témoigne de la manière pernicieuse dont le sexisme est emmêlé dans notre culture. Et personnellement, je refuse de travailler dans des organisations qui non seulement acceptent cet état de fait mais le perpétuent.

Et vous savez quoi, j’en ai même ultra-marre des environnements qui tolèrent ne serait-ce que la moindre saillie sexiste, et où quand on ose élever la voix pour dire “ce n’est pas drôle”, on se fait répondre « Roh, ça va ! T’as vraiment pas d’humour ! » Même chose pour le racisme, l’homophobie, et toutes les sortes d’agressions à peine masquées envers les personnes qui ne sont pas des hommes, blancs jeunes, valides, éduqués, hétérosexuels, carnistes, avec un panel de loisirs et d’intérêts bien délimités par la culture populaire, clin d’œil au babyfoot et aux bières illimitées de notre chère culture startup qui ne semble qu’employer de jeunes informaticiens mâles aux intérêts personnels très uniformes.

Agir :

On ne peut pas tous et toutes se permettre de refuser une offre d’emploi discriminante. Mais certains et certaines d’entre disposent d’un privilège, celui de ne pas être précaire, de ne pas avoir à accepter les conditions de subordination impropres pour livrer des repas à vélo. Utilisons notre parole plus libre, notre situation meilleure que nos pairs pour faire passer un message clair à ceux qui veulent employer des personnes : n’achetons pas les produits et les services d’organisations irrespectueuses des humains. Refusons de travailler pour des clients à l’éthique douteuse. Refusons les emplois aux conditions honteuses, dénonçons les entreprises qui tournent sur les stagiaires non payés et les traitent comme des salariés, ayons le courage de mettre fin à un entretien d’embauche quand on nous demande si on compte faire des enfants ou pas. Formons les jeunes femmes qui vont entrer dans le monde du travail à les refuser, elles-aussi.

Agir pour soi :

Changer le monde, ça commence déjà par changer le plus petit monde : le nôtre. Celui qui existe dans notre corps et notre esprit, au sein de notre microbiome. Puis nous pourrons nous atteler à inspirer notre entourage, notre entreprise, notre ville… pour voir toujours plus grand. Je vous invite à entamer dès aujourd’hui un travail personnel sur la définition de vos valeurs et de votre raison d’être. Ce n’est pas toujours un travail confortable, il demande de se dévoiler à soi, de faire face à ses problèmes et à ses inconforts et de prendre conscience de son privilège ou de sa vulnérabilité. Mais tout ce qui en ressortira sera positif, promis juré. Si vous souhaitez parler de cette démarche, je serai ravie de vous aider à mettre le pied à l’étrier ! Je le propose d’ailleurs aux entreprises via des ateliers de définition des valeurs, de la raison d’être et des objectifs, pour poser les bases solides d’une culture d’entreprise.

Si vous souffrez de votre travail, il existe des solutions. Ne restez pas seul-e dans votre douleur. L’association Souffrance & Travail mène une action incroyablement utile et bienveillante. Elle regroupe des spécialistes dans divers domaines (psychologues, psycho-dynamicien-nes du travail, conseiller-es du salarié, etc) qui sauront écouter votre souffrance et vous apporter une aide spécialisée. Voici les coordonnées de l’antenne lyonnaise. Sans leur aide précieuse, je n’aurais pas pu me relever aussi bien, ni me relever tout court.

J’aime le travail. J’aime entreprendre des choses, nourrir des idées, résoudre des problèmes, lancer des projets, tenter d’améliorer la condition humaine. Et c’est guidée par cet amour de faire que j’essaie d’apporter ma modeste pierre à l’édifice d’un travail meilleur, d’un monde plus inclusif et respectueux des vulnérabilités et des richesses de chacun-e. Nous sommes à l’orée d’un changement d’époque, il nous incombe de prendre les choses en main pour modeler des perspectives plus favorables. C’est pourquoi j’aimerais vous laisser sur cette citation de Frédéric Laloux, qui nous invite à écouter ce qui tente d’émerger. Abandonnons nos idées préconçues et nos certitudes qui ne font que rigidifier les possibilités qui s’offrent à nous. Restons à l’écoute des mutations, des désirs et des ambitions qui se font de plus en plus vocaux dans notre monde.

Et si on arrêtait de tout le temps projeter sur le futur ? Et si, à la place, on essayait simplement de danser avec ce qui émerge naturellement ?

Merci à Goulven Champenois, élu World’s Best Sparring Partner.
Fonte : 
Crystal Sky par Sam Parrett
El Empleo, Opus Bou

L’armée des 12 signes” du burnoutLa communauté « Burnout : rallumons la flamme »Guide d’évaluation d’épuisement professionnelholacracy.org
Pierre-Yves Gomez : 
son blog, « Le travail invisible », « L’intelligence du travail »
Les conseillers du salarié
Association Souffrance & Travail à Lyon : 04 72 60 86 14